De patients à partenaires : une expertise à intégrer

2025-12-15
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Amélie Desautels, M. Sc., B. Pharm.
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6 minutes

La pratique de la pharmacie s’apprête à connaître une évolution significative avec l’élargissement du pouvoir décisionnel des pharmaciennes et des pharmaciens au Québec et dans plusieurs autres provinces canadiennes. Dans ce contexte, davantage de responsabilités signifie que les occasions d’évaluation et d’intervention seront multipliées. Plusieurs approches reconnaissent que l’expertise clinique du professionnel et l’expérience vécue du patient sont complémentaires. Dans ce billet, j’examine quelques modèles, issus de la pratique clinique médicale et applicables à la pratique pharmaceutique, qui soutiennent la participation active des personnes sous nos soins.

La personne soignée : une richesse à valoriser

Le patient partenaire : une expertise intégrée dans l’équipe de soins

Le patient partenaire est une personne qui donne son opinion et participe à la réflexion de pistes de solutions basées sur son expérience, afin d’améliorer les soins et services. Elle partage son vécu, avec des équipes de soins, lors de comités ou de projets spéciaux. [1] Elle est un membre à part entière d’une équipe de soins, son savoir expérientiel étant complémentaire à l’expertise scientifique des autres intervenants.

Son apport touche cinq domaines :

  • les soins et services cliniques
  • la gouvernance
  • la recherche
  • l’enseignement
  • l’amélioration des politiques et programmes en santé

Son vécu permet d’améliorer les processus, d’humaniser les pratiques et de soutenir des décisions mieux alignées sur les besoins des patients.[2]

Le patient accompagnateur : un soutien unique dans le parcours de soins

Parmi les rôles possibles du patient partenaire, celui de patient accompagnateur occupe une place particulière. Le patient accompagnateur est une personne qui, de par ses expériences de vie liées à une condition de santé spécifique, accompagne, outille et informe des patients ou leurs proches vivant une situation semblable.[1]

Ce besoin est particulièrement marqué en oncologie : le manque de soutien émotionnel est l’une des principales lacunes rapportées par les personnes atteintes de cancer, et les patients accompagnateurs sont bien placés pour combler cet enjeu. Les retombées observées incluent une meilleure navigation dans le système, adoption de comportements favorables, réduction de la détresse, amélioration de l’adhésion aux traitements et diminution des abandons.[3]

Espace partenaires en cancérologie est une communauté de patients, de proches et de professionnels qui offre soutien, information et jumelage aux personnes touchées par le cancer au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal. Il favorise les collaborations externes, intègre la perspective des patients partenaires pour améliorer les soins, et assure leur accompagnement structuré grâce à des formations, des rencontres et un soutien continu dans leurs rôles.

Ce modèle d’accompagnement n’est pas exclusif à l’oncologie ; on le retrouve également en santé mentale et dans d'autres domaines de soins. Parmi les initiatives existantes, l’Entraide-Jumelage soutient les personnes vivant avec l’insuffisance rénale, tandis que le programme Un À Un accompagne celles touchées par des maladies pulmonaires.

La prise de décision partagée pour contrer l’incertitude

Comme cliniciens, nous sommes souvent les premiers à introduire la prise de décision partagée.

Cette dernière est décrite comme étant « une approche par laquelle, lorsque vient le temps de prendre une décision, les cliniciens et les patients partagent les meilleures données disponibles tout en encourageant les patients à examiner les différentes options, afin d’en arriver à une décision conforme aux préférences des patients ».[4]

Cette approche a été illustrée par l’INESSS dans la capsule La prise de décision partagée : une approche gagnante publiée en 2019,[5] qui met en lumière le rôle central du dialogue entre le professionnel de la santé et son patient. La vidéo décrit les étapes d’une consultation fondée sur ce modèle et souligne sa pertinence lorsqu’une intervention comporte un degré d’incertitude. Dans ce contexte d’échange, le clinicien présente les données scientifiques pertinentes, tandis que le patient y expose ses valeurs, attentes et préférences.

Au-delà de son déroulement, il importe de préciser les situations où cette approche est réellement indiquée. Comme le rappelle l’article Faut-il partager ou non?, [6] la décision partagée est pertinente uniquement lorsqu’il existe plusieurs options raisonnables présentant un équilibre comparable entre bénéfices et risques. Dans ces circonstances, la bonne décision n’est pas universelle : elle dépend du contexte de vie, des priorités et des valeurs de la personne.

Lorsque ces conditions sont réunies, le partage d’information devient le cœur du processus. Les outils d’aide à la décision et la documentation soutiennent cet échange : au clinicien revient la responsabilité de présenter l’état des connaissances, tandis que le patient met ces informations en perspective selon ses propres préférences. Certains modèles sont d’ailleurs intégrés à des guides de pratique, et plusieurs outils d’aide à la décision sont déjà disponibles pour structurer les discussions cliniques.

Parmi eux, l’outil d'aide à la décision PEER (PEER Simplified Cardiovascular Decision Aid) illustre bien comment une présentation claire et comparative des options peut soutenir une prise de décision partagée. Ce type d’outil facilite la compréhension des choix possibles et contribue à un dialogue éclairé, sans toutefois remplacer la discussion entre le patient et le clinicien.

La prise de décision partagée favorise chez les patients une meilleure satisfaction, une compréhension plus réaliste des bénéfices et des risques, ainsi qu’une réduction des regrets liés aux décisions prises.

Chez les professionnels, l’approche de partenariat améliore l’expérience au travail, réduit le stress et renforce le sens de l’engagement professionnel en soutenant des pratiques plus humaines.[7]

Défis et réalités

Perception d’un faible intérêt de la personne traitée

Il peut être tentant de conclure, à partir de l’attitude ou du langage non verbal, qu’une personne ne souhaite pas à participer à la prise de décision. Or, les données montrent clairement que la majorité des patients souhaitent être mieux informés[8] et davantage impliqués dans les décisions.

Ce qui peut être perçu comme un manque d’intérêt reflète souvent autre chose : un manque de confiance, une hésitation à poser des questions ou simplement la méconnaissance du fait qu’ils peuvent jouer un rôle actif dans leurs soins.

L’intérêt de la personne soignée n’est d’ailleurs pas fixe : il peut varier dans le temps ou selon sa condition de santé. Par exemple, quelqu’un peut ne pas souhaiter recevoir beaucoup d’information sur le traitement d’une anémie ferriprive, mais être tout à fait disposé à s’impliquer dans la prise en charge d’une douleur chronique.

Il importe donc de réitérer notre invitation à participer au processus décisionnel. Ce geste permet souvent de réactiver l’engagement.

Manque de temps clinique

Le manque de temps est l’élément le plus souvent nommé comme obstacle aux changements de pratique. La prise de décision partagée, si elle n'est pas déjà intégrée dans la pratique, peut être perçue comme une étape supplémentaire qui ralentit la consultation. Pourtant, il est bien établi que le temps consacré à la consultation n’augmente pas forcément.[4] 

Pour une personne chez qui l’on pourrait envisager une statine, la solution la plus rapide pourrait sembler être de prendre la décision pour elle, sans discussion. En s’appuyant sur l'outil clinique PEER, une courte discussion sur ses valeurs et ses préférences permet souvent d’en arriver à une décision partagée mieux comprise et plus facilement acceptée, limitant ainsi les questions et les hésitations ultérieures.

Des outils à notre portée

Avoir à portée de main du matériel de confiance peut grandement soutenir nos interventions auprès des personnes sous nos soins. Le fait de remettre au patient de la documentation écrite ou des liens vers des ressources en ligne lui permet de mieux comprendre et de mieux retenir l’information, de la relire à son rythme et de la partager avec ses proches. Cela favorise son autonomie, l’aide à prendre des décisions éclairées et soutient les changements de comportement au quotidien. En proposant des ressources fiables, on diminue aussi le risque qu’il se tourne vers de l’information inexacte sur le Web et on s’assure que tous les professionnels de l’équipe transmettent les mêmes messages.

À cet effet, RxVigilance, offre une vaste sélection de documents d'information à l’intention des patients. Ils sont faciles à trouver, que ce soit en cherchant par mot-clé ou en consultant l’index « Patients » au bas de la page d’accueil. N’hésitez pas à remplir le formulaire à la fin de l’article pour en voir des exemples.

Le patient, partenaire indispensable

Qu’il s’agisse de partenariat, d’accompagnement par les pairs ou de décision partagée, ces approches rappellent que le vécu d’une personne est un complément indispensable à notre jugement clinique. Pour soutenir cette démarche, plusieurs outils destinés aux patients peuvent faciliter la compréhension, structurer la discussion et rendre ces pratiques plus accessibles au quotidien. En pharmacie, ces pratiques constituent un levier puissant pour humaniser nos interventions et exercer pleinement notre rôle élargi.

 

Nous tenons à souligner la précieuse collaboration de Mme Sandie Oberoi, M.A.P., patiente partenaire et chef de service à l'Espace partenaires en cancérologie, au sein du programme de cancérologie du CIUSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.


 

👉 Pour en savoir davantage sur l'information patients dans RxVigilance, ouvrez notre document complémentaire en remplissant le formulaire.

 

 

 


 

Références

  1. CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Espace partenaires [Internet]. Montréal (QC) : CIUSSS-EMTL; mis à jour le 10 nov. 2025 [cité le 7 déc. 2025]. Disponible sur : https://ciusss-estmtl.gouv.qc.ca/nous-joindre/espace-partenaires

  2.  Unité de soutien SSA Québec. 5 implications possibles pour les patient(e)s partenaires [Internet]. Longueuil (QC) : SSA Québec; 26 août 2024 [cité le 7 déc. 2025]. Disponible sur : https://ssaquebec.ca/nouvelles/5-implications-possibles-pour-les-patientes-partenaires/

  3. Pomey MP, de Guise M, Desforges M, Bouchard K, Vialaron C, Normandin L, et al. The patient advisor, an organizational resource as a lever for an enhanced oncology patient experience (PAROLE-onco): a longitudinal multiple case study protocol. BMC Health Serv Res. 2021;21(1):10.

  4. Thériault G. Si la décision partagée est si efficace, pourquoi l’ignorons-nous? Can Fam Physician [Internet]. 2019 Feb 21. Disponible sur: https://www.cfp.ca/news/2019/02/21/02-21-2

  5. INESSS. La prise de décision partagée : une approche gagnante [Internet]. Québec (QC) : Institut national d’excellence en santé et en services sociaux; 2019 [cité 2025 jan 27]. Disponible sur : https://www.inesss.qc.ca/formations-et-outils/approche-methodologique/soutenir-la-prise-de-decision-partagee.html

  6. Thériault G, Grad R, Dickinson JA, Breault P, Singh H, Bell NR, Szafran O. Faut-il partager ou non? Quand la décision partagée est-elle la meilleure option? Patient Educ Couns. 2020;103(9):1861-1867.

  7. Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Cadre de référence pour le partenariat entre les usagers, leurs proches et les acteurs du réseau de la santé et des services sociaux [Internet]. Québec (QC) : MSSS; 2018 [cité 2025 jan 27]. Disponible sur : https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2018/18-727-01W.pdf

  8. Légaré F, Thompson-Leduc P. Twelve myths about shared decision making. Patient Educ Couns. 2014;96(3):281-286. doi:10.1016/j.pec.2014.06.014. Epub 2014 Jul 3.

Amélie Desautels, M. Sc., B. Pharm.

Amélie Desautels, M. Sc., B. Pharm.

Pharmacienne | Analyste clinique

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