Inspiré d’une histoire vraie! Vendredi soir. 19 heures. M. Lambert a finalement eu son congé de l’hôpital. Après son long séjour, il est heureux de rentrer à la maison. Toutefois, il est loin de se douter de l’aventure qu’il est sur le point de vivre!
À sa sortie, il passe à sa pharmacie de quartier afin d’aller déposer les nouvelles ordonnances du médecin. M. Lambert est un client de cette pharmacie depuis plusieurs années déjà, et il a une totale confiance en son pharmacien. Mais, c’est une soirée bien occupée. Et dans le feu de l’action, entre les multiples demandes de conseils, un appel d’un médecin, et la file de personnes qui attendent toutes impatiemment leurs médicaments, son pharmacien a malencontreusement ignoré l’alerte signalant une interaction médicamenteuse potentiellement dangereuse.
Cette alerte cruciale aurait dû attirer l’attention. Malheureusement, dans la frénésie qui régnait ce soir-là, elle est passée inaperçue dans le flux constant d’informations. M. Lambert quitte alors la pharmacie avec ses nouveaux médicaments. Mais, après quelques jours, son état se détériore et des effets indésirables importants apparaissent. M. Lambert a dû être hospitalisé de nouveau.
Cette situation était-elle évitable?
En tant que pharmacien·ne·s, nous faisons quotidiennement face à une surcharge d’information, à laquelle contribuent de nombreuses avancées technologiques de même que l’évolution rapide de la pratique pharmaceutique.
La bonne chose, c’est que plusieurs outils, notamment les outils d’aide à la décision, font maintenant partie intégrante de notre pratique. En signalant les problèmes potentiels, entre autres les interactions médicamenteuses, l’utilisation de dose trop élevée, ou les mises en garde reliées à une condition médicale, ils nous aident à prendre en charge les personnes sous nos soins et à assurer leur sécurité.
Toutefois, associée à la surcharge de travail qui touche actuellement tout le personnel de la santé, la grande quantité d’information et la fréquence à laquelle elle est véhiculée peuvent entraîner des conséquences nuisibles.
Ce phénomène porte le nom de « fatigue d’alerte » et peut toucher tout le monde. Elle survient lorsqu’un nombre élevé d’alertes non pertinentes conduit les personnes à devenir désensibilisées et à les ignorer par habitude. On pourrait en quelque sorte dire qu’il s’agit d’un mécanisme de défense.
Ce phénomène de fatigue d’alerte affecte même la population. Un bon exemple est celui de la COVID-19. En effet, le grand nombre de messages véhiculés et leur évolution au fil de la pandémie ont pu affecter la réceptivité de plusieurs. Pour s’assurer de véhiculer les messages escomptés, le Gouvernement du Canada avait même émis des recommandations à ce sujet.
La fatigue d’alerte est courante dans le secteur des soins de santé depuis des décennies, et est désormais largement reconnue comme une préoccupation nationale, souvent en raison de l’absence d’un plan d’action correspondant.
À titre d’exemple, une étude a démontré que jusqu’à 71,9 % des alertes seraient ignorées par les pharmacien·ne·s3. Ce pourcentage élevé mérite à mon avis que l’on se questionne, autant sur le plan individuel que collectif. À quoi est-il attribuable?
Plusieurs causes peuvent être envisagées :
À ce jour, la fatigue d’alerte a fait l’objet de nombreuses études, et plusieurs approches ont été suggérées afin de la contrer. Un modèle intéressant a d’ailleurs été proposé dans l’article A framework for evaluating the appropriateness of clinical decision support alerts and responses. Le cadre conceptuel proposé utilise un groupe d’experts afin d’évaluer non seulement la pertinence de l’alerte elle-même, mais aussi la réponse clinique qui en découle. Les auteurs suggèrent que l’application de ce cadre d’évaluation peut fournir une image plus complète de l’efficacité des systèmes d’alertes cliniques, et aider à mieux comprendre le véritable impact qu’ils ont sur la prestation des soins. Une littérature de plus en plus abondante suggère d’ailleurs que la pertinence de la réaction dépendrait de la pertinence initiale de l’alerte.
Il est intéressant d’évaluer la réponse face aux alertes générées; cela permet de s’assurer que le message véhiculé par l’alerte est bien compris et entraîne les bonnes actions auprès de la personne soignée. Supposons que les problèmes soient signalés par le conseiller thérapeutique, que les alertes émises soient bien reçues, mais qu’en fin de compte, l’action posée n’est pas celle que l'on aurait escomptée : l’efficacité de l’outil serait alors discutable.
Pour contrer ce problème, plusieurs études proposent des approches telles que :
Elles soulignent aussi le rôle actif que jouent les pharmacien·ne·s dans l’évaluation des alertes. En participant à leur évaluation, ils et elles peuvent contribuer à identifier les alertes pertinentes dans le but de réduire le phénomène de la fatigue d’alerte.
Si vous souhaitez lire davantage sur les différentes stratégies et recommandations, je vous propose ces articles :
En tant que professionnelle de la santé, la fatigue d’alerte est un sujet qui m’interpelle particulièrement. Comme pharmacienne et responsable de produit d’un outil d’aide à la décision RxVigilance chez Vigilance Santé, je me considère choyée de pouvoir intervenir sur ce phénomène et contribuer à le réduire chez mes pairs.
Peu importe, le chapeau que je porte, les questions que je me pose ou les commentaires que je reçois, la problématique de la fatigue d’alerte est un défi important auquel nous devons faire face afin de trouver des solutions efficaces, en lesquelles les professionnel·le·s de la santé ont confiance. J’ai à cœur que notre outil demeure pertinent en temps opportun et qu’il puisse accompagner le ou la professionnel·le de la santé dans ses prises de décisions éclairées et ainsi assurer la sécurité de ses patients.
En raison des pratiques variées, les pharmacien·ne·s ont des attentes et des besoins différents. D’un côté, certains trouvent que des alertes sont manquantes, tandis que de l’autre, on nous reproche d’en générer trop. Comment déterminer qu’une information est jugée suffisamment cruciale et justifie l’attention du pharmacien·ne? Voilà une question à laquelle nous réfléchissons quotidiennement!
Lorsqu’une alerte est signalée pour la première fois, elle mérite d’être analysée. Une fois que l’analyse a été faite, et que par exemple, un ajustement de la thérapie a eu lieu, il peut être moins pertinent de la revoir lors de chaque service. C’est dans ces exemples de situations où l’exposition répétée à des alertes qui n’entraînent pas d’action peut faire apparaitre : la fatigue d’alerte.
Pour contrer cette problématique, chez Vigilance Santé, nous avons développé une fonctionnalité qui permet la gestion des alertes signalées par l’outil d’aide à la décision RxVigilance. Cette fonctionnalité permet aux pharmacien·ne·s de documenter la manière dont l’alerte a été gérée. Ainsi, cela permet de prioriser les soins cliniques et de se concentrer sur les alertes qui n’ont jamais été prises en charge.
À mon avis, cette fonctionnalité peut avoir un impact significatif sur la pratique quotidienne des pharmacien·ne·s. et peut certainement contribuer à augmenter leur diligence et diminuer la surcharge d’information. Si votre outil d’aide à la décision vous offre une fonctionnalité similaire, elle deviendra indispensable à votre pratique!
L’histoire de M. Lambert met en lumière la réalité vécue par les pharmacien·ne·s et illustre bien la problématique complexe de la fatigue d’alerte dans le monde de la pharmacie. Elle touche non seulement le pharmacien ou la pharmacienne en raison du flux d’informations constant qui peut contribuer à son épuisement, mais affecte également le patient qui peut voir sa sécurité compromise.
Chaque fois qu’un·e pharmacien·ne sert un médicament ou prodigue un conseil, une analyse du dossier de la personne traitée doit être effectuée. À la fin d’un quart de travail, si nous prenons le temps d’y réfléchir un peu, cela fait beaucoup d’informations à évaluer. Ces analyses de dossier ne sont qu’une parcelle de leur travail, la pointe de l’iceberg!
L’élargissement de leur rôle et l’évolution de la pratique requièrent des outils efficaces pour les accompagner dans la prise en charge des personnes soignées. Les développeurs de logiciels jouent un rôle crucial dans la création d’outils efficaces. Il est essentiel qu’ils travaillent en étroite collaboration avec les professionnel·le·s pour :
La recherche dans ce domaine et l’amélioration continue sont cruciales pour comprendre les implications à long terme et pour évoluer vers des solutions toujours plus adaptées aux besoins des professionnel·le·s de la santé. Il serait intéressant d’obtenir davantage de données canadiennes sur les actions posées par le ou la pharmacien·ne lors de la consultation des alertes du conseiller thérapeutique dans un contexte réel.
En prenant des mesures proactives, il est possible de maximiser les avantages de ces outils technologiques tout en préservant le bien-être des pharmacien·ne·s.
Collectivement, nous en viendrons assurément à diminuer le pourcentage d’alertes ignorées!
Pharmacienne, R et D
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